240229 - MUS - DIA MAG - L'ŒUVRE DU MOIS - CHOPIN - PRÉLUDES POUR PIANO OP.28

 




240229 - MUS - DIA MAG - L'ŒUVRE DU MOIS - CHOPIN - PRÉLUDES POUR PIANO OP.28



Frédéric Chopin sous le pinceau d'Eugène Delacroix en 1838.



L'ŒUVRE DU MOIS


Chopin

Préludes pour piano op. 28

Ré-ré-ré trois coups mortels fff dans l'extrême grave du clavier résonnent comme l'enfoncement de clous dans un cercueil. Geste saisissant de Frédéric Chopin pour refermer, dans le funèbre mineur, son receuil épique et introspectif de Vingt—quatre préludes. Quintessence de l'oxymore, chaque inspiration allie une irrésistible éloquence (sans mots) à une perfection concise d'aphorisme.

« Chopin n'a pas de soici, semble-t-il, que de rétrécir les limites, de réduire à l'indispensable les moyens d'expression », s'émerveillera André Gide, relevant ses « extraordinnaires raccourcis », et corroborant ainsi le lapidaire « tel débute Chopin, tel il finit » de Schumann. Un peu déconcerté toutefois par les fantasques miniatures d'études, nocturnes, impromptus, mazurkas ou marches que sont les Préludes de son jumeau, « le plus hardi et fier génie poétique de tous les temps », Schumann y décelait « des esquisses [...] ou des ruines [...] le tout pêle-mêle dans sa bigarrure et sa sauvagerie ». Pour Liszt, ces « préludes poétiques [...] admirables par leur diversité » ont « la libre et grande allure qui caractérise les œuvres de génie ».

Parus en août 1839, plusieurs préludes étaient écrits avant qu'à l'automne 1838 George Sand n'entraîne Chopin à Majorque où ils ont été achevés (janvier 1839, après l'arrivée de piano Pleyel), dans l'enfermement glacial de la chartreuse de Valldemossa. Censé guérir le fragile artiste en exil, le séjour a été mal vécupar le musicien, inquiété par cet « endroit bien étrange » et une « cellule en forme de grand cercueil ». Sand se souviendra longtemps des « yeux hagards » d'un Chopin « persuadé qu'il était mort lui-même ».




ORIGINES ET POSTÉRITÉS

Œuvre-phare du piano romantique et l'un des plus hauts sommets de la production de Chopin, cet Opus 28 domine l'histoire du genre (cf. Jean-Jacques Eigeldonger dans Autour des 24 Préludes de Frédéric Chopin, Majorque, 2019). Nombreux sont en effet les compositeurs qui, après Bach et son Clavier bien tempéré, ont ausculté les vingt-quatre tonalités majeures et mineures. La plupart s'en tiennent désormais à un enchaînement de préludes selon le cycle des quintes (suivis de leur relatif mineur). Ainsi, déjà, Clementi, Hummet et Czerny.

Dédiés au facteur de piano Camille Pleyel, « parce qu'il les aimait », les Préludes op. 28 de Chopin le sont aussi, dans l'édition germanique, à Kessler en réponse à l'hommage de ses Vingt-quatre préludes op. 31. Dans le cercle de Chopin, distinguons ensuite Alban et Heller.

Tel Busoni, pour qui « son œuvre prophétique est constituée par les Vingt-quatre préludes », tous les successeurs seront obsédés par cet étalon-or : des Russes Scriabine, Rachmaninov, au Français Ohama et tant d'autres. Debussy, adorateur de Chopin, se situant à part avec ses suggestions finales entre parenthèses ...

L'ART DE CHOPIN

« Chopin parle peu et rarement de son art ; mais quand il en parle, c'est avec une netteté admirable », assure George Sand. La puissance émotionnelle, voire évocatrice, de ses préludes, fulgurantes litotes (dont le compositeur n'a joué que des bouquets) pourrait s'inscrire ainsi entre le Je-ne sçay-quoi de Couperin et la secrète poétique du fragment de Schumann.

Dans l'espace-temps restreint et nerveux d'idées contrastées (trente secondes pour plusieurs), l'interprète a pour mission multiple de faire « chanter avec les doigts » l'instrument à marteaux, de doser avec subtilité les nuances (du ppp au fff final), le rubato et la pédalisation, de démêler le tissage des voix intérieures, de souligner les intrépides innovations modales ou chromatiques, et de faire jaillir du clavier incandescendes et cendres à la manière des embrasements rouge et noir de Delacroix.

Car, loin des salons parisiens, Chopin l'implacable a laissé surgir les visions fantastiques, obsessionnelles, qui le hantaient. Tous ses proches ont signalé la violence contenue de l'exilé : « Polonais, il vivait dans le cauchemar des légendes. Les fantômes l'appelaient, l'enlaçaient », rapportera Sand, se souvenant de ses « idées terribles ou déchirantes ». Liszt évoquera sa nature « impérieuse et fantasque », son « imagination ardente jusqu'à la violence ». Pour ses propres Préludes symphoniques, Liszt résumera : « Notre vie est-elle autre chose qu'une série de préludes à ce chant inconnu dont la mort entonne la première et solennelle note ? » et il intitulera son ultime poème symphonique Du berceau à la tombe, parcours qui vaut pour les Préludes de Chopin. De fait, les préludes en mi et si mineur (n° 4 et 6) ont résonné en octobre 1849 en l'église de la Madeleine à l'enterrement de Chopin.

Brigitte François-Sappey





CHOPIN

Préludes pour piano op. 28

Claudio Arrau

APR, 1960



Claudio Arrau au Printemps de Prague 1960 (APR) déploie, incomparablement mieux que dans ses enregistrements de studio, une puissance tragique à l'ampleur démesurée. Comme possédé, poussé par un feu qu'on lui a rarement connu, il use d'un rubato particulièrement auda-cieux, mis au service d'une expressivité douloureuse. Boule-versant.




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